Portraits: Vedettes du film Le Grand Nord

Adamie Inukpuk

Adamie et Tiivi Uqittuq prennent une pause lors du tournage du film Le Grand Nord.
Photo©Martin J. Dignard

Comme tant d'Inuits de sa génération, Adamie Inukpuk mène une vie où se combinent modernité et tradition. Il y a quelques générations seulement, la vaste majorité des Inuits était encore nomade, vivant essentiellement comme leurs ancêtres avaient vécu pendant des milliers d'années. Tout ceci a bien changé maintenant mais pour des gens comme Adamie, les traditions sont encore bien vivantes. Elles doivent être chéries et respectées, sans pour autant refuser les facilités de la vie moderne que sont, par exemple, la motoneige et les vols réguliers vers le Sud canadien.

Adamie apparaît dans plusieurs des séquences tournées dans le Québec nordique. Ces apparitions coïncident souvent avec des extraits mettant en vedette son grand-père, connu sous le nom de Nanook. Adamie est fier de son passé, comme l'atteste le portrait de son aïeul qui se trouve dans son salon. Bien qu'il vive maintenant à Montréal (Québec), où il travaille pour une commission scolaire inuit, Adamie revient fréquemment dans son village natal d'Inukjuak, afin de visiter sa famille et de chasser.

Tout comme son grand-père, Adamie est un superbe chasseur avec des connaissances quasi-encyclopédiques sur l'Arctique et les traditions inuites. On peut le voir dans Le Grand Nord chasser le phoque, une activité qui se pratique encore aujourd'hui de la même façon qu'autrefois, avec un harpon. Un fusil ne serait d'aucune utilité pour cette chasse car le phoque, une fois abattu, glisserait simplement sous la glace et serait perdu.

Dans son film Nanook of the North, le cinéaste Robert J. Flaherty mentionne que, bien qu'ils vivent sous l'un des climats les plus rigoureux de la planète, les Inuits sont joyeux. Malgré les bouleversements qu'ont connus les dernières générations, cette joie n'a pas disparue. La présence d'Adamie à l'écran est forte et sereine, qu'il soit en train d'observer au loin les caribous, de tremper sa main dans l'eau glaciale d'un ruisseau ou d'attendre patiemment sur le bord d'un trou de phoque, le harpon à la main.

L'histoire de Nanook of the North

Le lien entre Le Grand Nord et Nanook of the North est plus fort que la glace de l'Arctique au milieu de l'hiver; c'est un lien de sang. Adamie Inukpuk, qui nous dévoile les traditions inuites, est le petit-fils de Nanook lui-même.

En 1922, le public de partout à travers le monde put, pour la première fois, contempler des scènes de la vie du lointain Nord. Cet univers inimaginable pour plusieurs leur fut offert à travers la caméra du cinéaste Robert J. Flaherty. Son film s'intitulait Nanook of the North et sa vedette éponyme, Nanook (qui signifie "l'Ours") devint une véritable célébrité. Au début, seules quelques salles s'avérèrent intéressées à présenter le film mais il prit rapidement son envol; six mois à Londres, six mois à Paris et de longues périodes en Allemagne et aux États-Unis.

Avant Nanook of the North, on ne trouvait que deux types de films muets; les drames et les récits de voyage. Flaherty révolutionna le jeune art du cinéma en combinant texte narratif et documentaire visuel; ce n'était plus seulement un film présentant les merveilles de quelque contrée lointaine, c'était l'histoire prenante d'une famille. Flaherty avait passé de nombreuses années dans le Nord. Il avait vécu avec les Inuits et voulait montrer au reste du monde à quoi ressemblait leur vie. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce fut un succès ! Pendant des décennies, Nanook sera synonyme du Nord. Par exemple, seulement trois ans après la première projection du film, un livre sur la vie des Inuits fut publié sous le titre Nanook of the North, révélant à quel point, pour le grand public, Nanook signifiait Nord.

"Vous me demandez ce que le cinéma peut faire pour rapprocher les gens, même lorsqu'ils sont très distants ?" écrit Flaherty. "Hé bien, Nanook est un bon exemple…des millions de gens ont vu le film…Il a fait le tour du monde et ce que les gens ont vu n'est pas un être bizarre mais une personne véritable, bravant les périls d'une vie difficile et pourtant toujours joyeux."

L'influence du film se fit sentir à tous les niveaux. L'un des premiers souvenirs du grand documentariste français Jean Rouch demeure le visionnement de Nanook, à l'âge de cinq ans (après quoi, il s'endormait toujours en boule comme un husky !). Lorsque Frances Flaherty, l'épouse du créateur de Nanook, acheta un sandwich à la crème glacée à Berlin, c'est le visage souriant de Nanook qui la regardait sur l'emballage. Quand le rocker Frank Zappa écrivit une chanson à propos d'un personnage Inuit, il le nomma…Nanook of the North !

Tragiquement, Nanook lui-même mourut de privation à peine deux ans après que Flaherty ait tourné son film. La nouvelle parvint au reste du monde avec la livraison annuelle du courrier du Nord et elle fit le tour de la planète. D'aussi loin que la Chine, les journaux rapportèrent le décès du grand Nanook.

Ce que Flaherty a fait avec Nanook, nous avons tenté de le faire à une plus grande échelle avec Le Grand Nord; permettre une meilleure compréhension de cette région magnifique et de ses habitants, tant humains qu'animaux.

Le tournage de Nanook of the North
Une scène de Nanook of the North,
R.J. Flaherty, 1922

Nanook of the North n'était pas la première tentative de Flaherty de tourner un film sur le Nord. Né en 1884, Flaherty avait déjà consacré, depuis l'âge de 12 ans, de nombreuses années à parcourir le Nord canadien. En 1913, l'idée lui vint d'emporter avec lui une caméra et beaucoup de pellicule. Il réalisa un premier film mais personne ne le vit jamais; la cendre d'une de sa cigarette mit le feu aux 70 000 pieds de pellicule déjà utilisée.

En 1920, Flaherty décide de repartir tourner un film dans le Nord. Il est alors commandité par les magnats français de la fourrure Révillon Frères qui administrent un réseau de postes de traite dans le Nord. C'est dans l'un de ceux-ci, au cap Dufferin, qu'il installe ses quartiers et son laboratoire cinématographique.

Flaherty instaure alors une tradition; celle de faire appel à des autochtones comme acteurs bien sûr mais également comme membres de l'équipe de tournage et même comme auditoire ! Par exemple, Nanook proposera à Flaherty différentes suggestions de scènes (telle une île avec d'innombrables morses) et ils partiront ensemble pour lancer le tournage.

De retour à Cap Dufferin, aujourd'hui Inukjuak, Flaherty et l'Inuit développeront le film (ce qui n'est pas un mince exploit, compte tenu de l'absence d'eau courante !) et projetterons les bouts d'essai ("rushes"). Flaherty raconte qu'après avoir vu ces premières scènes (celles de la chasse aux morses), les Inuits furent enthousiasmés des résultats: " Après cela, mes Esquimaux ne tardèrent pas à voir le côté utile des films et abandonnèrent bientôt leur attitude moqueuse envers Angercak (le Maître Blanc) qui voulait des images d'eux".

Parce qu'il avait vécu et travaillé parmi eux, le film de Flaherty présente les Inuits comme des égaux. Dans ses propres mots; "Dans trop de récits de voyages que j'ai vus, le cinéaste regarde d'en haut son sujet et jamais d'en bas. Il est l'homme important de New York ou de Londres. Moi, j'ai été dépendant de ces gens, seul avec eux pendant de longs mois parfois. Je n'aurais rien pu faire sans eux. "

Nanook dans Le Grand Nord

Le Grand Nord est truffé d'extraits de Nanook of the North. Bien que le Nord ait changé drastiquement aux cours des dernières décennies (plus personne ne meurt de faim et des avions relient les communautés nordiques avec les grands centres urbains), il y a toujours une certaine continuité dans les rythmes de la vie dans l'Arctique.

Brillamment agencé, Le Grand Nord oscille sans effort entre le passé et le présent, le grand-père et le petit-fils, le noir et blanc et la couleur, l'ancien et le nouveau. Dans une scène particulièrement frappante, les deux semblent même construire un igloo ensemble; Adamie descend de sa motoneige alors que Nanook est déjà en train de lécher son couteau à neige. Les deux débutent leur travail; les mains de Nanook bougent à la vitesse de l'éclair tandis qu'Adamie travaille plus posément. Rapidement l'igloo est complété.

Nanook a permis à des millions de gens de découvrir la vie nomade des Inuits. Le Grand Nord veut aller plus loin. Il y a l'écran géant bien sûr, fort différent des images silencieuses en noir et blanc de Flaherty et le sujet est plus vaste; Le Grand Nord n'est pas un film seulement sur les Inuits mais il présente également les Samis (Lapons) de la Suède nordique, les caribous et les rennes. Malgré tout, 80 ans plus tard, Nanook of the North conserve toute sa magie; de fait, il se trouve enrichi en format IMAXâ. L'image de Nanook, fixant la caméra avec attention au début de Le Grand Nord, est aussi forte aujourd'hui que le jour où elle fut tournée, il y a déjà tant d'années.